F1 - Horner vs Red Bull : une affaire dont personne ne sortira (vraiment) gagnant...
Tout a commencé par la révélation de comportements prétendument inappropriés de la part de Christian Horner. Mais l’origine de l’affaire Red Bull masque en fait des manœuvres liées à de considérables enjeux de pouvoir au sein de l’écurie championne du monde. Tentative de décryptage…
En février dernier, un seul nom était de toutes les
conversations en Formule 1 : Red Bull, aussi bien sur la piste
qu’en dehors. Si ses monoplaces dominent toujours le championnat,
l’écurie de Milton Keynes est en proie à de grands troubles
internes.
Du point de vue sportif, tout fonctionne à merveille. Mais la
direction de Red Bull GmbH, la maison mère en Autriche, semble être
entrée en guerre contre sa filiale de F1… sans pouvoir rien faire,
car Red Bull Racing est soutenue par l’actionnaire principal de…
Red Bull GmbH, le Thaïlandais Chalerm Yoovidhya.
Reprenons le fil de l’histoire, car l’affaire n’est pas simple. Si
Christian Horner a été sous les
feux de la rampe, il semble que ses malheureuses aventures privées
aient en fait été utilisées comme une arme contre lui par les
dirigeants de Red Bull GmbH, dans leur tentative de reprendre le
contrôle de Red Bull Racing.
Pour comprendre la situation, il faut remonter 40 ans en arrière,
et à l’accord conclu entre Dietrich Mateschitz et Chaleo Yoovidhya,
un baron de l’industrie pharmaceutique thaïlandais, inventeur d’une
boisson énergisante. Mateschitz lu propose de former un partenariat
pour vendre ladite boisson dans le monde entier.
Les deux hommes conviennent qu’ils détiendront chacun 49 % de
l’entreprise et que les 2 % restants reviendront à Chalerm, le fils
de Yoovidhya. Mateschitz aura le contrôle de la gestion de
l’entreprise, sauf dans un certain nombre de pays asiatiques où la
boisson originale continuera d’être vendue. Cela a bien fonctionné
et les deux hommes sont devenus extrêmement riches, en grande
partie grâce à la manière dont Mateschitz a commercialisé le Red
Bull.
Dix ans d’équilibre
A la mort de Chaleo, en 2012, son fils Chalerm a
hérité de l’entreprise de son père, mais il n’a pas modifié son
fonctionnement. Il possédait désormais la majorité des actions,
mais Dietrich Mateschitz continuait de diriger l’entreprise.
Il est mort dix ans plus tard, non sans avoir proposé une nouvelle
organisation : un conseil d’administration composé de Franz
Watzlawick (directeur général des boissons), Alexander Kirchmayr
(directeur financier) et Oliver Mintzlaff (directeur général des
projets d’entreprise et des investissements). Chalerm Yoovidhya
avait accepté cette structure. C’est après la disparition de
Dietrich Mateschitz en 2022 que la dynamique au sein de
l’entreprise a changé.
Pour ce qui est de la Formule 1, le fondateur autrichien s’est
toujours reposé sur Christian Horner pour diriger Red Bull Racing,
non sans toutefois faire appel à son vieil ami et conseiller,
Helmut Marko, pour garder un œil sur les choses et diriger le
programme des jeunes pilotes de la filière.
Horner et Marko se sont ainsi entraidés pour faire brillamment
réussir l’écurie, grâce l’argent de Red Bull. Lorsque Mateschitz
est décédé en 2022, l’équipe était en train d’entamer une nouvelle
ère de domination, portée par Max Verstappen. Après la
disparition du cofondateur, tandis que le nouveau conseil
d’administration prenait le relais de la gouvernance de
l’entreprise, Horner s’est soucié que rien ne puisse venir
perturber le fonctionnement de l’écurie.
Or, Oliver Mintzlaff, qui était auparavant responsable du football
chez Red Bull, a manifesté la volonté d’avoir son mot à dire sur ce
qui s’y passait. C’est là que les relations ont commencé à
s’envenimer. Pour des raisons évidentes, le conseiller Helmut Marko
s’est aligné sur son nouveau payeur. Et Max Verstappen et son père
Jos (qui n’est jamais très loin) se sont alignés sur Marko.
C’est Helmut qui avait fait entrer Max chez Red Bull. En parallèle,
il existait un problème en partie personnel entre Jos Verstappen et
Christian Horner. Max s’est retrouvé coincé entre les deux.
Un Christian Horner trop gourmand
Il semble que Horner ait profondément contrarié le
conseil d’administration de Red Bull GmbH lorsqu’il a suggéré à
l’héritier Chalerm Yoovidhya que sa société de boissons n’avait pas
vraiment besoin de Red Bull Technology, la société holding de
l’équipe de F1, ni de la division Powertrain, ni de celle qui
construit l’hypercar de route RB17.
C’était la passion personnelle de Dietrich Mateschitz mais, en
toute logique, elle n’a jamais trouvé sa place dans une entreprise
de boissons. Horner aurait donc proposé que lui-même et Yoovidhya
rachètent l’entreprise et la sortent de Red Bull GmbH. De cette
manière, Horner aurait eu des parts dans l’équipe qu’il a
constituée et il n’y aurait pas eu d’interférence de la part de Red
Bull GmbH.
Mateschitz n’est plus là. Yoovidhya a le pouvoir de faire ce qu’il
veut. D’un point de vue managérial et opérationnel, cette
séparation aurait du sens. Toutefois, pour les Autrichiens, la
manœuvre est jugée déloyale. On peut trouver des arguments valables
pour les deux points de vue. Mais la réalité est que Mateschitz a
lui-même mis en place cette structure. C’était peut-être le
meilleur accord qu’il pouvait obtenir. Qui sait ?
Quoi qu’il en soit, on voit que l’une des seules manières pour les
Autrichiens d’empêcher que cette revente se réalise était de
discréditer Horner. C’était évidemment déloyal envers l’homme qui a
bâti cette écurie. Mais c’est à ce moment que Christian Horner
s’est retrouvé au cœur d’un scandale concernant sa relation avec
une employée de l’écurie.
Sans doute, ce n’était pas bien malin de sa part de s’engager dans
une telle histoire, bien que l’étendue de cette affaire ne soit pas
claire. Il existe également des preuves que la femme en question
avait eu auparavant des relations personnelles avec un autre acteur
majeur de cette affaire. Voilà qui est troublant...
Quels que soient les détails de ces relations privées (et nous
n’avons pas besoin de les connaître), une plainte a été déposée et
Red Bull a ouvert une enquête interne, menée par un Kings Counsel
(KC) britannique. Un KC est constitué d’un petit groupe d’avocats
parmi les plus éminents de Grande-Bretagne. Ils sont tous dotés
d’une intelligence et d’une réputation juridique
exceptionnelle.
Cela a débouché sur la conclusion qu’il n’y avait pas lieu de
poursuivre Horner pour quoi que ce soit. Sauf que cet avis est
arrivé après que l’histoire a été rendue publique par un
journaliste néerlandais, proche des Verstappen. Il a appris qu’une
enquête était en cours et a demandé à Red Bull GmbH de faire un
commentaire.
L’entreprise, pourtant réputée pour son goût du secret, a alors
réagi de manière inattendue, en confirmant l’existence de
l’enquête. La suite était dès lors prévisible. L’histoire a été
rendue publique. Elle a provoqué une tempête sur les réseaux
sociaux, car les gens ont directement tiré leurs propres
conclusions, et Horner a été largement condamné par la vindicte
populaire.
Il n’y avait pourtant à ce stade aucune preuve d’aucune action
délictueuse. La réalité est que Red Bull GmbH aurait pu répondre «
No comment » lorsqu’elle a été sollicitée sur le sujet, mais
qu’elle a choisi de ne pas le faire. En d’autres termes, c’est Red
Bull qui a provoqué le scandale. Il serait naïf de penser qu’il
s’agit d’un accident.
Après que le KC a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre,
une fuite a été anonymement transmise au personnel de la F1 et aux
médias. Cette série de captures d’écran de téléphone était censée
contenir les discussions sur WhatsApp entre Horner et la femme
concernée. Cette fuite a manifestement été diffusée par quelqu’un
qui en voulait à Horner, mais elle n’a pas prouvé grand-chose. Il
s’agit juste de la vision incomplète d’échanges de messages très
personnels entre les deux protagonistes.
Jos Verstappen a ensuite lancé une
attaque publique extraordinaire contre Horner, ce qui a mis Max
dans l’embarras. L’initiative était assez étrange. Red Bull déclare
désormais qu’elle enquête sur la source des fuites, parce qu’elles
donnent une mauvaise image de l’entreprise.
En Arabie saoudite, Helmut Marko
avait pour sa part déclaré aux médias qu’il pourrait être démis de
ses fonctions. Cela ressemble à une attaque préventive, peut-être
pour essayer d’éviter que cela ne se produise. C’est alors que Max
est intervenu directement.
Il a déclaré qu’Helmut Marko était « un élément important dans
ma prise de décision pour mon avenir au sein de l’écurie » et
que « pour moi, Helmut doit rester ». Max a ainsi
clairement indiqué sa position. Toujours est-il que Christian
Horner reste aujourd’hui aux commandes.
Et qu’ils n’ont plus, les uns comme les autres, qu’à se satisfaire
au mieux d’une relation inconfortable. Horner conservera le goût
amer de la trahison. Les liens ont été rompus et la confiance a
disparu. Il est tout de même étonnant que, dans cette histoire, un
pilote prenne le risque de perdre le meilleur baquet possible de la
grille (et deux éventuels titres de champion du monde) à cause d’un
tel différend.
Il est vrai que Max pourrait passer
chez Mercedes. Mais la monoplace allemande n’est pas aussi
performante que la Red Bull. Pense-t-il que sa simple arrivée dans
l’équipe allemande fera pencher la balance ?
Une chose est certaine, si le volant Red Bull se libère, presque tous les pilotes de F1 le convoiteront : ce sera une opportunité extraordinaire. L’histoire de Red Bull Racing va poursuivre son chemin. Mais personne n’en sortira gagnant...
Retrouvez notre enquête F1 sur l'affaire Christian Horner dans le Sport Auto n°746 du 29/03/2024.


