Christophe Dechavanne : de la télé aux circuits, il nous raconte sa "2ème vie" de pilote

Publié le 9 septembre 2024 à 13:00
Mis à jour le 9 septembre 2024 à 13:35
Christophe Dechavanne : de la télé aux circuits, il nous raconte sa "2ème vie" de pilote

Dans sa savoureuse autobiographie, Christophe Dechavanne n’oublie pas ce qu’il appelle sa "deuxième vie", celle de pilote. Il nous révèle avec passion quelques épisodes et nous indique même ce qui pourrait bien devenir sa troisième vie...

Sport Auto : Quel est votre premier souvenir automobile ?

Christophe Dechavanne : Enfant, je me rappelle être assis sur les genoux de mon père dans sa 404, avec des cales en bois pour que je puisse toucher les pédales. C’était à Coursegoules, petit village du Midi, pendant les vacances. Sinon, plus tard, j’ai souvent piqué à ma grand-mère sa Daf 44 Variomatic lorsqu’il neigeait.
J’ai grandi à Montmartre et, au moindre flocon, mes potes m’appelaient. Discrètement, je prenais les clés de la Daf de ma grand-mère qui vivait avec nous. On se retrouvait à l’Étoile, chacun son auto, direction le bois de Boulogne. Je leur montrais comment mettre la voiture en glisse. Pourtant, on ne m’avait jamais appris. C’était instinctif.
J’ai toujours appris sur le tas. Il faut dire que j’étais passionné. A 15 ans, je m’endormais en lisant le magazine Echappement. Mon rêve était de devenir pilote de Rallye.

Il semble que l’univers automobile a été présent assez tôt dans votre famille…

D’une certaine manière, oui : j’ai un arrière-grand-père, du côté de ma mère, qui a exporté les premières Mercedes vers le Canada et les Etats-Unis. Il avait aussi la plus grande agence Mercedes sur les Champs-Elysées. Il était associé à M. Benz et avait un paquet d’actions, mais il a fini par s’engueuler avec lui et les lui a revendues pour un paquet de bonbons. Dommage !

Comment êtes-vous venu à pratiquer le sport automobile ?

Je m’y suis mis très tard, au tout début des années 90. J’avais la trentaine. Je n’étais pas du sérail. En fait, j’ai commencé parce qu’un jour, José Rosinski m’a téléphoné. Il était à l’époque rédacteur en chef adjoint de Sport Auto et commentait les grands prix sur TF1. Je connaissais bien sa voix.
Il me dit : « Il paraît que vous aimez la course automobile. » « J’en suis dingue, oui ! » Il me propose alors d’essayer une Caterham. Je ne savais même pas ce que c’était. Je suis allé à Montlhéry pour l’essayer et j’ai fait ma première course au Mans, sur le Bugatti. J’étais qualifié 27e et j’ai terminé dans les vingt premiers après quelques dépassements. C’est un moment clé pour moi : je m’étais injecté le « truc ». Ça a réveillé quelque chose qui était évidemment en moi.

Pourquoi ne pas avoir suivi une école de pilotage ?

Je n’avais pas vraiment le temps. J’enregistrais mon émission Coucou, c’est nous ! du vendredi dès le mercredi soir. Je partais le jeudi dans la nuit, je commençais les essais libres le vendredi, qualif le samedi et course. Comme un couillon, je ne me préparais pas trop physiquement. Tout comme j’ai appris mon métier sur le tas, j’ai appris le pilotage en course le dimanche.
Un jour, Dany Snobeck me fait essayer une Porsche 944 à Magny-Cours. Je n’avais jamais roulé dans une telle auto. Il me dit : « Tu accélères à fond dès que tes roues sont droites. Il faut donc qu’elles soient droites le plus vite possible ! » Je n’ai pas réussi tout de suite et j’ai mis la Porsche dans le mur, à la sortie du virage d’Estoril.
Fin de roulage. Un autre jour, je fais ensuite une course en Porsche, au Castelet, et après m’avoir pris un tour, le sympathique Jean-Pierre Jarier, « Godasse de plomb », vient me voir à l’arrivée : « Profite de la largeur de la piste ! Là, tu laisses un mètre à droite et un à gauche. Tu perds un temps fou… »
Voilà, c’est comme ça que j’ai appris, bout à bout avec des pilotes partageurs. Sur piste sèche, j’ai eu beaucoup de mal au début. C’est physique. C’est plus difficile que quand ça glisse, sur le Trophée Andros par exemple : les appuis et les G ne sont pas les mêmes. Sur le goudron, il m’est arrivé de finir des courses avec la tête volontairement appuyée sur le haut du baquet parce que je ne la tenais plus.
J’avais l’impression d’avoir un cou de poulet ! Je me rappelle aussi avoir terminé des courses, à mes débuts, avec des étoiles dans les yeux sur les derniers tours. De vraies étoiles ! Et là, quand tu te rends compte qu’il reste trois tours, c’est affreux.
Quelques fois, j’ai gagné ou j’ai fait des podiums en étant « au bout de ma vie ». Je m’entraînais peu alors que les autres avaient un cardio de ouf. Sur le Trophée Andros, la condition physique nécessaire n’était pas la même. Vous étiez déjà une star du petit écran.

Quel accueil vous ont réservé les pilotes des différents championnats ?

Quand je suis arrivé, je voyais bien dans les yeux de certains d’entre eux qu’ils me considéraient comme le petit branleur de la télé qui venait frimer en combinaison. Au début, à certaines de mes questions, du genre : « Ce grand droite passe-t-il en 5 ? », la réponse était : « Oui, oui. »
En fait, je peux vous dire que « non, non ». Et lorsque j’étais dehors, je les détestais parce que je prenais conscience qu’ils m’avaient menti sciemment. Le seul qui a été extraordinaire avec moi, c’est Jacques Laffite. Il m’a beaucoup aidé et a répondu honnêtement chaque fois. Il m’a aussi donné des conseils spontanément
C’est l’unique vrai ami que j’ai dans ce métier. Parmi les autres, il y en a même qui ne me parlaient plus quand il m’arrivait d’aller plus vite qu’eux. Sur la glace, par exemple, j’ai un souvenir précis d’un pilote de grand renom qui ne me disait plus bonjour parce que j’avais fait un meilleur chrono. C’était un peu ridicule, j’avoue. Il y a un vrai égocentrisme chez beaucoup de pilotes. En comparaison, les gens de la télé sont des bonnes sœurs ! Et pourtant…

Etre vedette à la télé, ça facilitait la vie pour trouver des sponsors ?

Pas vraiment, en fait. Alors que j’étais déjà connu. Heureusement d’ailleurs, parce que sinon je n’aurais pas pu courir. C’est en effet moi qui payais tout au début. Et c’était très cher, du genre deux millions de francs la saison. Je ne trouvais pas trop de sponsors au début. Ils pensaient que je n’avais pas besoin d’argent et que je n’étais pas un pilote.
En même temps, il faut quand même un peu « tapiner »… Et ça, je n’ai pas trop su faire dans ma vie, ni là ni dans mon métier. Ça m’a du reste suffisamment coûté. Et le jour où j’ai commencé à faire des chronos, c’est devenu plus facile de trouver des sponsors. Et j’étais bien content d’être comme tout le monde.

Les patrons de chaîne appréciaient-ils le fait de vous voir courir ?

Patrick Le Lay, le directeur général de TF1, refusait que je coure. Je lui disais : « Ma mère n’arrive pas à me l’interdire, donc toi, tu ne vas pas y arriver non plus ! » Il a fini par s’y faire mais m’a obligé à prendre une assurance exorbitante. Il ne me voyait pas présenter Coucou, c’est nous ! la bouche de traviole.

A en croire une belle anecdote de votre livre, le même Patrick Le Lay vous considérait vraiment comme un pilote de course…

Oui ! Un jour, lui et moi avons eu une explication très musclée que je décris dans le livre. Il avait posé ses lunettes, remonté ses manches et on allait au charbon. Je lui dis : « Mais qu’est-ce que tu fais ? » Et là, il me sort : « Ce n’est pas parce que tu es pilote automobile que tu me fais peur ! » Surréaliste ! J’ai explosé de rire. Ça nous a calmés. J’ai failli appeler le bouquin ainsi, mais c’était trop long comme titre. En 1993, vous participez aux 24 Heures du Mans sur une Venturi 500 LM.

Un sacré souvenir ?

Oui ! Je faisais équipe avec Jacquot Laffite et Michel Maisonneuve. La voiture était jeune et développait 500 ch. Jacques fait le premier relais, sort de l’auto, je m’installe, il me serre le harnais et je vois dans le casque un mec « bleu marine ». Je lui demande : « C’est comment ? » Il me regarde et me dit « L’enfer ! » et ferme la porte.
Il avait raison. Quand on freinait, la voiture traversait la piste. Pas très « secure » lorsque tu te fais rattraper par des autos qui déboulent à près de 400 à l’heure ! En plus, il n’y avait pas d’aération dans l’habitacle. Les deux gros tubes en accordéon censés faire entrer de l’air avaient été bouchés.
En gros, il faisait 72 °C dans la bagnole. En roulant, j’ai fini par décrocher la mousse de gauche et je me suis mis le tuyau sur les coucougnettes. Ça chauffait tellement ! Enfin, au freinage de la deuxième chicane, j’entendais un grand « bam » à chaque tour. Je me suis alors dit que quelque chose allait péter, c’était sûr.
J’imaginais le châssis fendu en deux. J’ai flippé ma race pendant cinquante minutes. En sortant de la voiture, je titubais. Je m’entends encore prononcer à haute voix : « Putain, je suis vivant ! » C’est vrai, je l’ai vécu comme ça dans mon corps.
J’ai dit aux gars qu’il y avait un truc qui se cassait. Ils ont inspecté. En fait, c’était la pince d’un électricien qui se baladait sur le plancher et qui tapait dans le longeron ! Nous avons abandonné après vingt-deux heures de course… d’enfer.

Assez rapidement, vous courez en championnat de France de Supertourisme. Une école de la hargne ?

J’étais au sein de l’équipe Oreca où j’ai côtoyé des pilotes comme Yvan Muller ou le sympathique Stéphane Ortelli. Un jour, en essais, je suis monté à côté d’Yvan et je me suis dit : « Ça, je ne saurai jamais le faire ! »
Il allait très vite et je voyais bien cette espèce d’animosité qui l’animait. A dévorer la piste ! Moi, je n’arrivais à entrer dans cet état en piste que lorsque quelqu’un se comportait mal avec moi. Je me suis beaucoup fait sortir par des mecs jaloux.
J’ai donc rapidement appris à me faire respecter sur le terrain. Il le faut, car certains sont prêts à te rouler dessus. Et moi, je parle chinois aux Chinois : je n’ai jamais tapé un nez en premier, mais si tu me fais une porte, je t’en fais deux !

Après des débuts en France, vous courez en Belgique où vous remportez deux titres en Procar-Division 2 en 1996 et en 1997. Pourquoi cet exil ?

Dans une émission, j’avais un peu secoué Raël et son organisation sectaire. Par conséquent, les « raëliens » me poursuivaient de piste en piste. Pendant une période, je me suis exilé en Belgique à cause de ça. Et aussi un petit peu à cause des admirateurs français qui sont légèrement plus… raides que les Belges.
Il y avait toujours beaucoup de spectateurs devant ma tente et, lorsque j’étais en train de décrypter la télémétrie avec les ingénieurs, les réactions en France étaient parfois du style : « Pour qui il se prend ? » Tandis qu’en Belgique, ils attendaient gentiment, à la suite de quoi je passais une heure et demie avec eux, à discuter et à signer des autographes.
Et puis dans les médias, j’étais considéré différemment qu’en France. Ils évoquaient « le pilote français Dechavanne ». J’étais alors dix fois plus heureux qu’avec n’importe quelle couv’ de Paris Match ou de Télé 7 jours ! Vraiment. Je courais sur une Audi à quatre roues motrices de l’écurie Franz Dubois.
J’ai remporté ma première victoire à Spa, l’un de mes circuits préférés avec Magny-Cours. J’en garde un sentiment mitigé. J’avais été troisième pendant toute la course, à regarder les deux premiers se chicorer, et j’espérais leur sortie. Je ne pouvais pas les ramarrer mais j’étais là et ils se sont accrochés, les couillons !
Je suis monté sur le podium en faisant un peu la tête parce que je n’avais pas gagné tel que je le voulais. Franz, mon Team Manager, m’a dit : « Tu crois que Schumacher, quand il gagne comme ça, il n’est pas heureux ? »

Votre retour en France a été ponctué d’un joli succès à Magny-Cours et, par la suite, de quelques frictions dont vous vous seriez bien passé, j’imagine…

En 1998, au Val de Vienne. Je vois un concurrent, Marcel, assis par terre, pas bien. Je lui demande ce qu’il a. Il me regarde : « Je ne peux pas finir la saison. Je n’ai plus de thunes. » Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je lui demande combien il lui manque. Il me dit : « 50 000 balles. »
*Le lendemain, je lui donne un chèque perso de cette somme. Quinze jours après, on se retrouve au Castelet. Je pars depuis la première ligne. Il est sur la deuxième. Je prends un très bon départ, je tombe la première, je tourne à droite, et là, dans ma vitre droite, je vois le gars qui m’arrive dessus à fond, dans les graviers, et qui me pulvérise littéralement.
Une espèce d’incompréhension me gagne alors : est-ce bien le mec à qui j’ai gentiment sauvé la saison qui me coupe en deux ? Cela ne m’a pas empêché de terminer vice-champion en fin de saison. L’année d’après, au Mans, je me fais couper en deux au Dunlop par mon concurrent direct qui « ne l’(a) pas fait exprès ». Là, j’étais vraiment en colère, parce que c’était un acte volontaire évident.

Vous avez principalement roulé en circuit alors que vous rêviez d’être pilote de Rallye. Pourquoi ce paradoxe ?

Je trouve que le Rallye est tellement plus audacieux, tellement plus « Ivanhoé »… et tellement plus dangereux ! Je n’avais pas envie de me faire mal. J’avais des enfants. J’ai quand même disputé quelques rallyes, mais j’étais déçu de mes performances de débutant.
Le premier, Le Touquet 1998, a été un peu mouvementé. Entre mes sept sorties de route, je faisais de très bons chronos (rires). Ça a failli mal tourner : je me suis retrouvé quasi à fond dans une échappatoire… où se trouvaient des gens qui n’avaient rien à faire là. Ça a fait « bim, boum, bam ». J’étais désespéré.
Grâce à Dieu, il n’y a eu qu’une côte cassée à déplorer. Mon problème sur les rallyes : je pointe souvent en retard et je prends des pénalités. Avant de refaire quelques rallyes régionaux en France, j’ai disputé il y a six ans le Rallye del Rubinetto, dans la « Silicon Valley » des robinets de luxe ! Face aux locaux, c’était compliqué.

Y a-t-il une chance de vous revoir en course ?

J’aimerais bien refaire les 24 Heures en GT, mais pour ça, il faudrait que je me remette à rouler en amont. Si un mec qui connaît bien le milieu veut me prendre en main, je suis partant…

Il semble que vous avez aussi d’autres projets…

Oui. Jusqu’en 2017, mon taf, c’était de faire le couillon et de le faire le mieux possible. Et puis les circonstances m’ont amené à gérer ma boîte. J’ai appris sur le tas. Ce métier, je le fais depuis trente-cinq ans et j’ai envie d’en commencer un autre, que j’ai trouvé. Je peux le dire : j’ai la même volonté de devenir acteur que celle que j’ai eue pour devenir pilote.
Je viens de tourner dans un premier film et je sens que c’est ancré en moi. C’est sympa à mon âge de pouvoir encore ouvrir des portes comme ça. Je ne 22 sais pas si je réussirai, mais je vais sacrément m’y atteler. C’est dit !

Retrouvez notre interview de Christophe Dechavanne dans le Sport Auto n°751 du 26/07/2024.

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