WRC : quel genre d'avenir pour le Mondial des Rallyes ?
Alors que la catégorie Rally1 hybride apparue en 2022 n’a attiré que deux constructeurs "et demi", le championnat du monde des rallyes se cherche un avenir plus florissant. Au risque de confondre projection et précipitation…
Alors qu’il évolue dans des grands espaces magnifiques, le
championnat du monde des rallyes
semble s’être engagé dans une impasse en adoptant la technologie
hybride en 2022. Toyota et Hyundai ont répondu présents à l’appel,
de même que l’équipe M-Sport, tristement peu soutenue par Ford.
Malheureusement, si cette révolution « H » a propulsé le Rallye
dans l’ère des green technologies, elle a aussi vite montré
certains défauts. Le premier d’entre eux étant de n’avoir attiré
aucun nouveau constructeur (même pas Ford qui a préféré s’engager
officiellement en championnat du monde des rallye-raids). Hélas, ce
faible nombre de constructeurs impliqués n’a pas été compensé par
la présence de voitures privées.
La complexité et un coût d’exploitation élevé ont empêché les
équipes privées d’accéder aux Rally1. D’où très peu de voitures (en
moyenne trois Toyota, trois Hyundai, deux Ford). A l’heure où le
championnat du monde d’Endurance et la Formule E croulent sous les
engagements officiels, cette peau de chagrin fait désordre.
Consciente de cette impasse, la FIA cherche à tout prix ce qui
permettrait au Rallye mondial de retrouver son lustre d’antan. Un
groupe de travail spécial phosphore depuis des mois pour trouver la
sortie. Il a rendu publiques ses
propositions en février dernier, et celles-ci ont suscité une
énorme surprise en ne se limitant pas à l’horizon 2027 où tout
reste à écrire.
Système hybride démonté et ‘‘kit WRC’’
Le groupe de travail, dont font partie David Richards, le
fondateur de Prodrive, et l’ancien copilote Robert Reid, recommande
en effet des mesures de très court terme qui remettent en question
les plans initiaux.
Alors que les Rally1 hybrides ont été homologuées jusqu’en 2026,
cette feuille de route propose d’équilibrer les performances des
Rally1 et des Rally2 dès 2025. A cette fin, les systèmes hybrides
présents dans les Rally1 seraient démontés, la bride d’admission
serait réduite ainsi que l’efficacité aérodynamique.
Parallèlement, les Rally2 seraient autorisées à recevoir un « kit
WRC » permettant d’augmenter leurs performances sur le plan moteur
(via une bride d’admission élargie et un échappement plus efficace)
et aérodynamique (ajout d’un aileron arrière).
Selon ces propositions, la saison 2026 donnerait lieu à
l’introduction d’une nouvelle génération de voitures utilisant une
cellule de survie standard pouvant être recouverte par une
carrosserie de volumes différents (Classe B, Classe C, SUV compact
ou concept car). Le coût de ces autos serait plafonné à 400 000
€.
Parallèlement, la création d’une catégorie 100 % électrique sera
encouragée dans les meilleurs délais. Le petit monde du WRC a été
un peu sonné par ces propositions de court terme, comme nous le
confirme Cyril Abiteboul, président de
Hyundai Motorsport : "Pour 2027, il faut une vision qui rende
la discipline moins élitiste, plus accessible, avec plus de
participants, des voitures moins coûteuses et une capacité à avoir
différents types d’architectures. Nous souscrivons assez largement
à l’analyse et à la direction générale suggérée. Nous sommes très
ouverts d’esprit sur 2027."
"En revanche, il ne faut absolument pas sous-estimer le travail
nécessaire pour préparer correctement cette échéance. Quand on veut
faire cohabiter dans un même règlement des mini-SUV, des petits
coupés… on voit bien qu’il va falloir établir des règles
d’équivalence, ce qui me fait peur. Aller vers ça, c’est compliqué
à mettre en œuvre et on doit y travailler très, très vite et tous
ensemble."
"Or au lieu de nous pencher sur 2027, nous sommes tous concentrés
sur 2025 puisque la FIA souhaite des mesures de transition sur la
période 2025-2026. Il s’agit de mesures très lourdes de
conséquences. Nous n’avons pas pu totalement analyser ce point pour
l’instant parce que le règlement n’existe pas. Il y a encore
beaucoup de discussions."
"Toutes les semaines, nous allons de découverte en découverte. Cela
nous pose un problème. Nous avions élaboré un plan clair et précis,
validé par notre siège, avec les engagements financiers
nécessaires. Tout cela est remis en question."
En mode "catastrophe"
Même sans connaître encore le détail des aménagements
réglementaires prévus pour 2025, la ligne directrice suscite des
craintes incontournables : "Nous sommes très circonspects sur
cette volonté réformatrice à court terme, poursuit le manager
français. Tout changement réglementaire entraîne du
développement et des coûts supplémentaires."
"Or ce n’est compensé par aucune économie. Il faut savoir que
les équipes ont été contraintes d’acheter toutes les unités
hybrides dont elles ont besoin pour les deux années à venir. Les
pièces sont déjà sur nos étagères et on nous demande maintenant de
ne plus les mettre dans les voitures !"
"J’ai l’impression que la FIA ne se rend pas compte de la
portée des mesures de 2025 dans le cadre extrêmement strict dans
lequel on est, que ce soit en matière de calendrier ou de
limitations de jokers et d’essais. Chez Hyundai, nous avons la
chance d’avoir un budget de fonctionnement important mais on sait
qu’une équipe comme M-Sport a des restrictions budgétaires très,
très fortes."
Alors que tout le monde déplore les coûts
trop élevés des Rally1, la suppression anticipée de l’hybride ne
ferait qu’entraîner des dépenses supplémentaires. De plus, la mise
en application d’une telle mesure dès 2025 laisse un délai de
préparation incroyablement réduit, pour ne pas dire injouable.
"Il faut considérer les délais de fabrication. Parfois, on doit
attendre seize semaines, hors vacances, pour la production d’un
nouveau pignon de boîte de vitesses. Si nous avons le règlement
2025 en juin, cela nous emmène en octobre pour recevoir les
premières boîtes de vitesses… On va arriver dans la saison 2025 un
peu en mode 'catastrophe'.
"Nous sommes dans un niveau d’incertitude qui n’est pas ce que l’on
attend de ce sport. Nous y sommes engagés depuis dix ans et nous
avons encore envie de nous engager sur dix ans, mais nous avons
besoin d’avoir des certitudes. Le plan qu’on avait élaboré a
complètement volé en éclats avec ces nouvelles orientations. Je
pense que la FIA met trop d’énergie sur le court terme mais pas
assez sur ce qui est important et stratégique : le moyen et le long
terme."
Le patron de l’équipe Hyundai n’est pas le seul à
penser ça. Double champion du monde en titre, Kalle Rovanperä partage son avis
: "Ça n’a pas de sens de tout changer dès les deux prochaines
années et d’allouer de l’argent à la gestion de deux catégories qui
ne seront jamais égales. Je comprends que la FIA veuille plus de
voitures dans la top catégorie. Ils feraient mieux de se consacrer
à établir de nouvelles règles pour 2027 et, alors, peut-être qu’on
verrait des équipes inédites venir."
La plupart des pilotes de Rally1 sont sur la même longueur d’onde.
Les propositions du groupe de travail ne sont heureusement pas
gravées dans le marbre. Les discussions entre FIA et acteurs du WRC
continuent, et seul le conseil mondial du mois de juin pourra
entériner de si radicales évolutions.
Espérons que, d’ici là, le bon sens aura pris le dessus concernant
les saisons 2025 et 2026… Une vraie réflexion reste à mener pour
l’horizon 2027, qui s’annonce crucial pour la survie du WRC.
"La position de la FIA d’aller vers une compétition qui mélange
équipes clientes, préparateurs privés et éventuellement
constructeurs est une vision qui me paraît bonne, mais qui
nécessite d’être forcément un peu raisonnable sur les technologies
qu’on va embarquer, prévient Cyril Abiteboul. Je pense
qu’il y a eu une tentative de faire du Rallye un terrain de
démonstration technologique. Je crois que c’est très
compliqué."
"Personnellement, je ne vois pas le Rallye comme une plateforme de
développement technologique. J’estime qu’il y a trop de contraintes
matérielles, logistiques, etc. Il est très difficile de monétiser
cette discipline, ne serait-ce que, tout simplement, de faire payer
les spectateurs. Le Rallye a beaucoup de mal à générer assez de
revenus pour financer toute cette recherche et
développement."
Retrouvez notre analyse sur l'avenir du WRC dans le Sport Auto n°748 du 26/04/2024.


