F1 - Comment Brawn exploitait les règlements

Ross Brawn a souvent su mieux exploiter les règlements que ses rivaux, que ce soit chez Benetton, Ferrari ou Brawn GP. Il explique sa méthode.
Le règlement technique change totalement cette année. Adrian
Newey, le responsable technique de Red Bull, pense que la
hiérarchie pourrait évoluer et que certaines équipes exploiteront
mieux le règlement. Red Bull en avait profité en 2009, lors du
dernier gros changement technique, pour remporter ses premières
courses. Cette année là, Brawn GP, fondée suite au départ de Honda,
avait dominé le championnat. Ross Brawn, alors patron de l'équipe,
était un spécialiste de l'interprétation des règlements.
Son équipe avait par exemple lancé le double diffuseur, un élément
controversé et finalement jugé légal, ce qui allait faciliter sa
domination. Pour bien comprendre un règlement, Ross Brawn estime
qu'il est nécessaire d'être impliqué dans sa mise en place.
« Je pense que l’essentiel est d’être actif pour essayer de
mettre en place ces changements de règlements parce que les
discussions regroupent toujours les gens, sauf si c’est une
question de sécurité où on a tendance à avoir des décisions
compréhensibles, » explique Brawn dans Auto, le magazine de la
FIA. « Normalement, s’il y a un changement de règlement
significatif, la FIA, parfois en association avec le détenteur des
droits commerciaux, dira "Nous allons faire des changements parce
que nous sentons que la Formule 1 va dans la mauvaise direction,
pour différentes raisons". »
« Par le passé, cette décision était placée dans les mains des
différents groupes de travail, à qui on demandait de faire des
propositions. J’étais actif dans ces groupes, et être actif aux
côtés de ceux qui définissent les règlements dès le début aide à
comprendre ce qu’on essaie de faire et quelles sont les
priorités. »
Peut-on influencer les règlements ?
Les personnes impliquées dans les discussions sur les règlements
travaillent souvent pour des équipes. Elles peuvent donc être
tentées d'influencer les règlements pour qu'ils correspondent à
leurs forces. Ross Brawn estime cependant que cet aspect n'arrive
que très tard dans les discussions.
« Je peux sincèrement dire que dans cette phase initiale de
gestation des règlements, je me concentrais totalement sur essayer
d’attendre les objectifs qu’on nous avait fixés, parce qu’à ce
stade personne n’a vraiment un avantage ou un désavantage, »
explique Brawn. « Tant que les règlements sont pour deux ou
trois ans après, on peut avoir une position impartiale vis à vis de
son équipe et penser à ce est bon pour la F1. »
Mais quand la monoplace répondant à ses règlements se concrétise,
les équipes tentent de faire tourner les choses en leur faveur :
« Quand ce qui devient sensible est l’année suivante, qu’on on
sent qu’on pourrait être désavantagé, dans ce cas on a des options
assez tranchées sur ce qui devrait ou ne pas être fait, »
précise Brawn. « Donc j’étais toujours très actif pour
m’assurer que j’étais impliqué dans ce processus. Quand ce
processus est blouclé, on ajuste les règlements et les
interprétations débutent, et il faut clarifier les règlements au
sujet des interprétations. Quand ces règlements sont assez fermes,
on commence à réunir les équipes pour construire les voitures ou
les moteurs, ou décider ce qu’on va faire. »
Quand une équipe sent qu'elle a une bonne idée, elle cherche à
influencer l'écriture des règlements pour s'assurer de sa
conformité : « Une fois qu’on a débuté son programme, une fois
qu’on a commencé à mettre ses équipes en place, on veut tendre vers
une direction précise parce qu’on a pris une certaine route, »
souligne Brawn. « Si on a une interprétation du règlement dont
on sent qu’elle nous donne un avantage de performances, on essaie
de la maintenir. C’est là que la politique et d’autres éléments
entrent en jeu. »
Brawn pense avoir su faire la part des choses entre les bons choix
pour la F1 et ceux pour ses équipes :« J’ai toujours eu une
pleine conscience de ça parce que si j’avais débuté le processus
d’une manière totalement impartiale, après je devais passer la main
et dire "Maintenant je travaille juste pour l’équipe. Je dois
trouver les meilleures solutions pour mon équipe autour de ces
règlements". Certains diront, et je le comprends, qu’on ne peut
jamais séparer totalement les deux, mais je pense avoir honnêtement
essayé de le faire. »
Brawn voulait être en avance sur la concurrence
Ross Brawn estime que sa méthode a permis à Mercedes d’avoir
l’avantage sur la concurrence quand les groupes propulseurs ont été
lancées, il y a trois saisons.
« Être impliqué très tôt dans ce processus était important et
nous l’avons vu sur le moteur quand j’étais chez Mercedes, »
indique-t-il. « Nous avons débuté le projet moteur très tôt.
Dans les demandes que nous avons faites à la FIA, pour des
clarifications, il était évident que nous étions les premiers à les
faire, donc nous pouvions commencer à débattre de plusieurs
éléments. Ca nous a également encouragé parce que nous savions que
personne n’était devant nous. »
Pour avoir cette avance sur la concurrence, il important de
consacrer assez de ressources au travail de développement :
« Mon approche était de nous concentrer à la recherche et que
ça soit sacrosaint, parce que dans la F1 normale, c’est facile de
consacrer ces ressources aux soucis de tous les jours, et on
repousse le projet d’une semaine ou deux, et soudain on a perdu un
temps qu’on ne peut pas rattraper, » analyse
Brawn. « Mon habitude était de mettre en place une
équipe, d’identifier ce qu’il fallait pour que le projet fonctionne
bien et de dire "Pour le moment, c’est une équipe réduite pour ce
projet. Je veux savoir ce qu’il se passe, mais sinon nous n’allons
pas y toucher". »
Quand ce développement avance, il faut décider quelles seront les
meilleures solutions : « Je me décris comme un dictateur
amical, » s’amuse Brawn. « Je voulais un groupe parce
qu’on juge toute la puissance et les ressources. Mais oui, au final
quelqu’un doit prendre une décision sur la direction à prendre et
j’aimais faire ça. Mais je voulais que tout le monde y croie aussi.
Donc ma méthode était: Je vais prendre la décision mais vous allez
faire partie de l’équipe qui me permettra de prendre la meilleure
décision posible. Donc vous faites partie d’une équipe dont la
décision n’est peut-être pas vraiment ce que vous pensiez bon, mais
il faut y croire parce que vous avez eu la possibilité de
l’influencer. »
« Dans la plupart des cas où il y avait une grande décision à
prendre, il fallait dire "Je peux voir qu’ils ont besoin de plus de
ressources là, je vais mettre plus de gens sur ça" ou ils pouvaient
venir me voir et dire "Nous ne savons pas si nous devons suivre
cette interprétation ou pas, que devons nous faire ?" Je leur
donnais mon avis et ça pouvait arriver à un stade où je demandais à
la FIA d’en débattre et d’en discuter. »


