Sur le circuit du Mans en Ford GT (2020) et GT40 ! [photos]

L'automobile sportive, telle que nous la connaissons, vit un bouleversement. Plutôt que de le regretter, célébrerons ces instants magiques en Ford GT...
Remontant à l'été 2018, notre dernière rencontre avec la Ford GT avait eu lieu en terres
sarthoises (voir Sport Auto n° 678). Comme un peu de
changement ne peut pas faire de mal, cette fois... direction Le
Mans. Ne voyez là aucun signe de lassitude. Bien qu'elle se répète,
l'expérience apparaît comme une éternelle première fois.
Approcher un tel fauve, même encore assoupi dans son box, provoque
toujours ce bouleversant mélange d'attirance et d'intimidation. Et
si la supercar à l'ovale bleu nous donne rendez-vous en son jardin
manceau, aujourd'hui, c'est parce qu'elle nous y attend accompagnée
de son illustre aïeule : la GT40. Oui, la seule, la vraie,
serait-il tentant d'ajouter. Loin de nous l'idée de mépriser sa
descendance. Mais quelle aura !
La créature renferme, dans seulement quarante pouces de haut, comme
son patronyme l'indique, un pan entier de l'histoire du sport
automobile. Cauchemar de Ferrari, progéniture de Carroll Shelby et
monture de Bruce McLaren, entre autres, elle a remporté les 24
Heures du Mans quatre fois de suite.
Inespérée, sa présence dans la voie des stands, ici dans une livrée
noire rendant hommage à la voiture victorieuse en 1966, nous donne
l'occasion de réunir les deux pôles de la dynastie GT sur un même
cliché. Un événement qui équivaut, à l'échelle de l'astronomie, au
passage d'une grande comète ; ça n'arrive pas tous les quatre
matins. Tandis que 1350 GT de la dernière cuvée verront le jour
d'ici à 2022, après une extension de deux ans de la production,
seuls 126 exemplaires du modèle originel ont été construits entre
1964 et 1968.
Pour ajouter au précieux de l'instant, la nuit tombe vite sur le
Bugatti en cette saison et Denis, notre photographe, n'a que peu de
temps pour immortaliser la scène. Alors que les tribunes aux
alentours baignent déjà dans la pénombre, l'image est en boîte.
Ouf, nous pouvons mettre les voiles avec le sentiment du devoir
accompli. Sauf que nous n'entamons pas notre périple à bord de la
Ford à laquelle nous pensions initialement. S'il est bel et bien
question de raccompagner la GT jusqu'au tunnel sous la Manche par
lequel elle rejoindra le site britannique de Ford Performance,
c'est d'abord son aînée qui me tend son volant. A vue de nez, notre
studio photo improvisé dans la pit lane et le musée des 24 Heures
du Mans, où séjourne cette MK I pour quelques mois, ne sont pas
séparés par plus d'un kilomètre. C'est très peu. Mais suffisant
pour tenter l'aventure, aussi brève soit-elle. Qui refuserait
d'entrer de plain-pied dans la légende ?
Le Mans by night en Ford GT 40
S'installer au poste de pilotage n'est pas une sinécure. Une
jambe glissée sous la planche de bord, il faut encore passer la
seconde pardessus l'énorme ponton auquel est intégré le réservoir
de carburant.
De préférence, en laissant le plus petit fragment de tibia possible
contre la commande de boîte jouxtant le seuil de porte. Après cette
gymnastique, en guise de récompense, me voilà quasiment couché face
à un minuscule pare-brise embué, à deviner mon chemin dans la nuit
mancelle, tout en tentant de manœuvrer une commande d'embrayage que
tout mon poids (certes modeste) ne suffirait pas à repousser
jusqu'au plancher. Rétroéclairé par une lumière faiblarde et
jaunâtre, le tachymètre indique moins de 30 km/h.
Mais, à bord, ça secoue fort. C'est à peine si ma tête ne se
détache pas du reste du corps sous les coups de boutoir du V8 4.7,
visiblement très contrarié de ne pas pouvoir respirer les papillons
de ses carburateurs grands ouverts. Et dire qu'au sein de cet
univers mécanique impitoyable, Dan Gurney, Jacky Ickx et consorts
maintenaient une vitesse moyenne de plus de 200 km/h à longueur de
relais...
En comparaison, cinquante ans plus tard, la GT, née du partenariat
entre Ford et Multimatic, s'appréhende sans beaucoup plus de
difficultés qu'une Focus RS. Hormis peut-être à la barrière de
péage, où il vaut mieux se faire remettre son ticket en main propre
par un agent autoroutier. A défaut, les plus de 2,20 m de large de
l'engin, rétroviseurs inclus, obligent à déboucler sa ceinture et
atteindre le précieux sésame du bout des doigts, en s'extirpant
péniblement de l'habitacle par la fenêtre jusqu'à la taille. Et
encore, pour y parvenir, il aura fallu au préalable stopper au plus
près du trottoir, tout en gardant à l'esprit que les sublimes
jantes en carbone de notre exemplaire s'échangent, en seconde
monte, contre la modique somme de 25 000 €... pièce.
GT contre GT
Heureusement, rien ne presse, nous avons deux jours pour
rejoindre le Pas-de-Calais. Compte tenu de l'énergie que laisse
entrevoir le V6 biturbo dès les premières relances, nous devrions
être largement dans les temps. Avant de véritablement prendre notre
élan vers le nord, nous nous offrons un crochet par l'Ile-de-France
et nous invitons à prendre le café chez Francis Breitmann,
fondateur du club européen des propriétaires de Ford GT. Vouant un
culte à la sportive américaine, l'homme est aussi l'heureux
possesseur d'un modèle 2005, imaginé en l'honneur du centenaire de
Ford et dessiné par Camilo Pardo. « Une véritable œuvre d'art »,
nous déclare amoureusement notre hôte, esthète en la matière. La
pureté de son dessin s'explique en grande partie par une exception
faite à la règle. Cette GT n'a pas été modelée par les contraintes
de la compétition ; elle est née sur la route avant d'en découdre
sur piste, et non l'inverse. Cette différence de philosophie saute
encore davantage aux yeux face au dernier membre de la lignée.
Réunies côte à côte, ces deux générations du troisième millénaire
s'opposent par leur façon de se soumettre (ou non) à
l'aérodynamique. L'une semble taillée dans la masse, tel un galet,
quand l'autre voit sa carrosserie lacérée de toutes parts.
Ecopes, dérives, aileron... Autant d'éléments hérités de savantes
recherches en soufflerie, et qui pimentent le voyage
aujourd'hui.
En jetant un œil dans mes rétroviseurs pour m'assurer que le chaos
de la circulation francilienne est enfin derrière nous, je ne me
lasse pas du spectacle offert par les arches reliant le pavillon
aux ailes arrière évidées. Toujours dans cet objectif de mieux
fendre l'air, la relative étroitesse de l'habitacle donne
l'impression d'être assis en son centre ou presque, à la façon d'un
proto d'endurance.
Et pour cause... Avant tout conçue pour gagner Le Mans, la Ford
fait appel à des baquets fixes, taillés à même la coque carbone,
pensés ainsi pour préserver une répartition des masses optimale
quel que soit le gabarit du pilote. L'ergonomie du poste de
commande apporte néanmoins un confort que j'imagine aussi précieux
lors des courses longues que durant ce reportage. Volant ajusté
près du buste, à l'inverse du pédalier repoussé loin sur ses
glissières, la position de conduite très allongée n'engendre pas le
moindre geste superflu.
La direction hydraulique exige du muscle à basse vitesse, mais
atteint une consistance idéale au-delà. Même le freinage participe
à cette relative douceur grâce à une assistance parfaitement
adaptée à un usage routier. Il n'est pas nécessaire de monter sur
la pédale pour s'arrêter. Pourtant, en dépit de cette relative
docilité, soulignée par une boîte robotisée au fonctionnement à
peine moins fluide que celui d'une PDK de chez Porsche, la GT
n'encourage pas autant que ses contemporaines européennes à la
fantaisie. Non, ce n'est pas seulement dû à l'implantation des
commandes de clignotants sur l'anguleux volant carbone qui,
tournant avec lui, exigent une utilisation mûrement réfléchie dans
les ronds-points.
La course ou la vie
Hormis sous la pluie, où les Michelin Pilot Sport Cup 2 se
mettent régulièrement à patauger, les limites du train avant
semblent insondables, malgré la transparence de la direction. Tout
simplement parce qu'il est difficile de s'en approcher sur route
ouverte. Sans la moindre inertie, le nez pique instantanément à la
corde. Aussi rigoureux, l'arrière n'accepte pas davantage de lui
tourner autour. Si tel est le cas, c'est avec une certaine
vivacité, les signes annonciateurs se faisant rares en l'absence
totale de roulis. La caisse demeure quasi figée par l'amortissement
sans que son mode le plus extrême (Track) ne soit engagé. Plutôt
que dessiner des arabesques de gomme au sol, ce que nous encourage
à faire une 720S ou une 488 Pista, la GT nous exhorte à peaufiner
notre pilotage en assumant jusqu'au bout ses racines, non pas de
simple sportive récréative, mais de pure compétitrice.
Toutefois, l'expérience n'en est pas moins gratifiante.
Le moteur n'est pas là non plus pour amuser la galerie. Le dernier
tronçon d'A16, qui nous permet de rallier rapidement Calais depuis
Boulogne-sur-Mer, nous donne l'occasion de nous en convaincre
définitivement.
Sans filtre ni fioriture, faisant volontiers entrer en résonance
l'ensemble de la structure composite à pleine charge, le 6
cylindres 3.5 ne s'éparpille pas en vocalises, ni en coups de
théâtre au fil du régime.
Capable de sonner la charge en continu de 3 000 à 6 500 tr/mn grâce
à ses deux turbos, ce bloc met aussi à profit son système anti-lag
pour répondre avec la précision d'un atmosphérique.
L'absence de V8, tant regrettée par certains, n'est même pas un
sujet... C'est précisément ce pragmatisme qui séduit tant. En
passant de la piste à la route, la Ford GT ne s'est laissée
corrompre par aucun artifice ; s'appuyant sur rien d'autre qu'une
motorisation 100 % thermique et deux roues motrices, elle n'est que
la version immatriculée de la lauréate du Mans 2016. Cette
authenticité, toujours plus rare de nos jours, s'avère extrêmement
touchante et rend la séparation douloureuse à l'issue de ces, non
pas vingt-quatre, mais quarante-huit heures passées en sa
compagnie.
L'avis de Sport Auto
Les règles d'homologation de la catégorie LM GTE sont une bénédiction. Grâce à elles, il nous a été possible de traverser un bon tiers de l'Hexagone au volant d'une authentique voiture de course. Et quelle course ! Un rêve qui se réalise.
Fiche technique Ford GT (2020)
Moteur : V6, biturbo
Cylindrée : 3 497 cm3
Puissance maxi : 656 ch à 6 250 tr/mn
Couple maxi : 76 mkg à 5 900 tr/mn
Régime maxi : 7 000 tr/mn
V. max. : 348 km/h
0 à 100 km/h : 3''0
Transmission : aux roues AR, double embrayage, 7 rapports
robotisés
Contrôle de stabilité/autobloquant : en série/glissement limité
Poids annoncé : 1 385 kg (à sec)
Rapport poids/puissance : 2,1 kg/ch
L - l - h : 4 779 - 2 003 - 1 109 mm
Empattement : 2 710 mm
Voies AV/AR : 1 694/1 662 mm
Carburant : 58 l environ
Pneus AV & AR : 245/35 R20 & 325/30 R20
Prix de base : environ 500.000€
Photo : Denis Meunier / EMAS


