Sur le circuit du Mans en Ford GT (2020) et GT40 ! [photos]

Publié le 18 février 2020 à 19:43
Mis à jour le 28 novembre 2020 à 00:35
Témoin de nos retrouvailles avec la GT, son illustre aïeule, la GT40, nous attend dans la voie des stands du circuit Bugatti. Voilà plus de cinquante ans d'histoire du sport automobile réunis sur un même cliché.

L’automobile sportive, telle que nous la connaissons, vit un bouleversement. Plutôt que de le regretter, célébrerons ces instants magiques en Ford GT…

Remontant à l’été 2018, notre dernière rencontre avec la Ford GT avait eu lieu en terres sarthoises (voir Sport Auto n° 678). Comme un peu de changement ne peut pas faire de mal, cette fois… direction Le Mans. Ne voyez là aucun signe de lassitude. Bien qu’elle se répète, l’expérience apparaît comme une éternelle première fois.
Approcher un tel fauve, même encore assoupi dans son box, provoque toujours ce bouleversant mélange d’attirance et d’intimidation. Et si la supercar à l’ovale bleu nous donne rendez-vous en son jardin manceau, aujourd’hui, c’est parce qu’elle nous y attend accompagnée de son illustre aïeule : la GT40. Oui, la seule, la vraie, serait-il tentant d’ajouter. Loin de nous l’idée de mépriser sa descendance. Mais quelle aura !
La créature renferme, dans seulement quarante pouces de haut, comme son patronyme l’indique, un pan entier de l’histoire du sport automobile. Cauchemar de Ferrari, progéniture de Carroll Shelby et monture de Bruce McLaren, entre autres, elle a remporté les 24 Heures du Mans quatre fois de suite.
Inespérée, sa présence dans la voie des stands, ici dans une livrée noire rendant hommage à la voiture victorieuse en 1966, nous donne l’occasion de réunir les deux pôles de la dynastie GT sur un même cliché. Un événement qui équivaut, à l’échelle de l’astronomie, au passage d’une grande comète ; ça n’arrive pas tous les quatre matins. Tandis que 1350 GT de la dernière cuvée verront le jour d’ici à 2022, après une extension de deux ans de la production, seuls 126 exemplaires du modèle originel ont été construits entre 1964 et 1968.
Pour ajouter au précieux de l’instant, la nuit tombe vite sur le Bugatti en cette saison et Denis, notre photographe, n’a que peu de temps pour immortaliser la scène. Alors que les tribunes aux alentours baignent déjà dans la pénombre, l’image est en boîte. Ouf, nous pouvons mettre les voiles avec le sentiment du devoir accompli. Sauf que nous n’entamons pas notre périple à bord de la Ford à laquelle nous pensions initialement. S’il est bel et bien question de raccompagner la GT jusqu’au tunnel sous la Manche par lequel elle rejoindra le site britannique de Ford Performance, c’est d’abord son aînée qui me tend son volant. A vue de nez, notre studio photo improvisé dans la pit lane et le musée des 24 Heures du Mans, où séjourne cette MK I pour quelques mois, ne sont pas séparés par plus d’un kilomètre. C’est très peu. Mais suffisant pour tenter l’aventure, aussi brève soit-elle. Qui refuserait d’entrer de plain-pied dans la légende ?

Le Mans by night en Ford GT 40

S’installer au poste de pilotage n’est pas une sinécure. Une jambe glissée sous la planche de bord, il faut encore passer la seconde pardessus l’énorme ponton auquel est intégré le réservoir de carburant.
De préférence, en laissant le plus petit fragment de tibia possible contre la commande de boîte jouxtant le seuil de porte. Après cette gymnastique, en guise de récompense, me voilà quasiment couché face à un minuscule pare-brise embué, à deviner mon chemin dans la nuit mancelle, tout en tentant de manœuvrer une commande d’embrayage que tout mon poids (certes modeste) ne suffirait pas à repousser jusqu’au plancher. Rétroéclairé par une lumière faiblarde et jaunâtre, le tachymètre indique moins de 30 km/h.
Mais, à bord, ça secoue fort. C’est à peine si ma tête ne se détache pas du reste du corps sous les coups de boutoir du V8 4.7, visiblement très contrarié de ne pas pouvoir respirer les papillons de ses carburateurs grands ouverts. Et dire qu’au sein de cet univers mécanique impitoyable, Dan Gurney, Jacky Ickx et consorts maintenaient une vitesse moyenne de plus de 200 km/h à longueur de relais…
En comparaison, cinquante ans plus tard, la GT, née du partenariat entre Ford et Multimatic, s’appréhende sans beaucoup plus de difficultés qu’une Focus RS. Hormis peut-être à la barrière de péage, où il vaut mieux se faire remettre son ticket en main propre par un agent autoroutier. A défaut, les plus de 2,20 m de large de l’engin, rétroviseurs inclus, obligent à déboucler sa ceinture et atteindre le précieux sésame du bout des doigts, en s’extirpant péniblement de l’habitacle par la fenêtre jusqu’à la taille. Et encore, pour y parvenir, il aura fallu au préalable stopper au plus près du trottoir, tout en gardant à l’esprit que les sublimes jantes en carbone de notre exemplaire s’échangent, en seconde monte, contre la modique somme de 25 000 €… pièce.

GT contre GT

Heureusement, rien ne presse, nous avons deux jours pour rejoindre le Pas-de-Calais. Compte tenu de l’énergie que laisse entrevoir le V6 biturbo dès les premières relances, nous devrions être largement dans les temps. Avant de véritablement prendre notre élan vers le nord, nous nous offrons un crochet par l’Ile-de-France et nous invitons à prendre le café chez Francis Breitmann, fondateur du club européen des propriétaires de Ford GT. Vouant un culte à la sportive américaine, l’homme est aussi l’heureux possesseur d’un modèle 2005, imaginé en l’honneur du centenaire de Ford et dessiné par Camilo Pardo. « Une véritable œuvre d’art », nous déclare amoureusement notre hôte, esthète en la matière. La pureté de son dessin s’explique en grande partie par une exception faite à la règle. Cette GT n’a pas été modelée par les contraintes de la compétition ; elle est née sur la route avant d’en découdre sur piste, et non l’inverse. Cette différence de philosophie saute encore davantage aux yeux face au dernier membre de la lignée.
Réunies côte à côte, ces deux générations du troisième millénaire s’opposent par leur façon de se soumettre (ou non) à l’aérodynamique. L’une semble taillée dans la masse, tel un galet, quand l’autre voit sa carrosserie lacérée de toutes parts.
Ecopes, dérives, aileron… Autant d’éléments hérités de savantes recherches en soufflerie, et qui pimentent le voyage aujourd’hui.
En jetant un œil dans mes rétroviseurs pour m’assurer que le chaos de la circulation francilienne est enfin derrière nous, je ne me lasse pas du spectacle offert par les arches reliant le pavillon aux ailes arrière évidées. Toujours dans cet objectif de mieux fendre l’air, la relative étroitesse de l’habitacle donne l’impression d’être assis en son centre ou presque, à la façon d’un proto d’endurance.
Et pour cause… Avant tout conçue pour gagner Le Mans, la Ford fait appel à des baquets fixes, taillés à même la coque carbone, pensés ainsi pour préserver une répartition des masses optimale quel que soit le gabarit du pilote. L’ergonomie du poste de commande apporte néanmoins un confort que j’imagine aussi précieux lors des courses longues que durant ce reportage. Volant ajusté près du buste, à l’inverse du pédalier repoussé loin sur ses glissières, la position de conduite très allongée n’engendre pas le moindre geste superflu.
La direction hydraulique exige du muscle à basse vitesse, mais atteint une consistance idéale au-delà. Même le freinage participe à cette relative douceur grâce à une assistance parfaitement adaptée à un usage routier. Il n’est pas nécessaire de monter sur la pédale pour s’arrêter. Pourtant, en dépit de cette relative docilité, soulignée par une boîte robotisée au fonctionnement à peine moins fluide que celui d’une PDK de chez Porsche, la GT n’encourage pas autant que ses contemporaines européennes à la fantaisie. Non, ce n’est pas seulement dû à l’implantation des commandes de clignotants sur l’anguleux volant carbone qui, tournant avec lui, exigent une utilisation mûrement réfléchie dans les ronds-points.

La course ou la vie

Hormis sous la pluie, où les Michelin Pilot Sport Cup 2 se mettent régulièrement à patauger, les limites du train avant semblent insondables, malgré la transparence de la direction. Tout simplement parce qu’il est difficile de s’en approcher sur route ouverte. Sans la moindre inertie, le nez pique instantanément à la corde. Aussi rigoureux, l’arrière n’accepte pas davantage de lui tourner autour. Si tel est le cas, c’est avec une certaine vivacité, les signes annonciateurs se faisant rares en l’absence totale de roulis. La caisse demeure quasi figée par l’amortissement sans que son mode le plus extrême (Track) ne soit engagé. Plutôt que dessiner des arabesques de gomme au sol, ce que nous encourage à faire une 720S ou une 488 Pista, la GT nous exhorte à peaufiner notre pilotage en assumant jusqu’au bout ses racines, non pas de simple sportive récréative, mais de pure compétitrice.
Toutefois, l’expérience n’en est pas moins gratifiante.
Le moteur n’est pas là non plus pour amuser la galerie. Le dernier tronçon d’A16, qui nous permet de rallier rapidement Calais depuis Boulogne-sur-Mer, nous donne l’occasion de nous en convaincre définitivement.
Sans filtre ni fioriture, faisant volontiers entrer en résonance l’ensemble de la structure composite à pleine charge, le 6 cylindres 3.5 ne s’éparpille pas en vocalises, ni en coups de théâtre au fil du régime.
Capable de sonner la charge en continu de 3 000 à 6 500 tr/mn grâce à ses deux turbos, ce bloc met aussi à profit son système anti-lag pour répondre avec la précision d’un atmosphérique.
L’absence de V8, tant regrettée par certains, n’est même pas un sujet… C’est précisément ce pragmatisme qui séduit tant. En passant de la piste à la route, la Ford GT ne s’est laissée corrompre par aucun artifice ; s’appuyant sur rien d’autre qu’une motorisation 100 % thermique et deux roues motrices, elle n’est que la version immatriculée de la lauréate du Mans 2016. Cette authenticité, toujours plus rare de nos jours, s’avère extrêmement touchante et rend la séparation douloureuse à l’issue de ces, non pas vingt-quatre, mais quarante-huit heures passées en sa compagnie.

L’avis de Sport Auto

Les règles d’homologation de la catégorie LM GTE sont une bénédiction. Grâce à elles, il nous a été possible de traverser un bon tiers de l’Hexagone au volant d’une authentique voiture de course. Et quelle course ! Un rêve qui se réalise.

Fiche technique Ford GT (2020)

Moteur : V6, biturbo
Cylindrée : 3 497 cm3
Puissance maxi : 656 ch à 6 250 tr/mn
Couple maxi : 76 mkg à 5 900 tr/mn
Régime maxi : 7 000 tr/mn
V. max. : 348 km/h
0 à 100 km/h : 3 »0
Transmission : aux roues AR, double embrayage, 7 rapports robotisés
Contrôle de stabilité/autobloquant : en série/glissement limité
Poids annoncé : 1 385 kg (à sec)
Rapport poids/puissance : 2,1 kg/ch
L – l – h : 4 779 – 2 003 – 1 109 mm
Empattement : 2 710 mm
Voies AV/AR : 1 694/1 662 mm
Carburant : 58 l environ
Pneus AV & AR : 245/35 R20 & 325/30 R20
Prix de base : environ 500.000€
Photo : Denis Meunier / EMAS

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